Comme quand on était petits… Rhadra et sa famille

Un jour, sur les terres de la grosse ferme de l’autre côté du petit pont, on vit se construire une grosse tente, un campement, un truc bizarre, bien plus grand que nos cabanes sauvages, cloisons de bois de récupe et grosses bâches mélangées. L’un des gros chiens noirs de la ferme ne connut plus désormais que la rage, celle de mordre les nouveaux étranges. Etranges étrangers [clic obligatoire].

Plusieurs questions se posaient à nous : comment allaient-ils s’y prendre pour ne pas geler pendant le long hiver ? Pourquoi certains familles dont la mienne triaient tout à coup tout ce qui ne nous allait plus, partageaient les casseroles et les assiettes, portaient des gâteaux, des chaussures, des boulets pour le feu ? Pourquoi d’autres familles partaient-elles en guerre contre les nouveaux arrivants ?

Car il nous était arrivés la famille Chouder. La maman ne parlait pas français, avait les mains couvertes de dessin ocres et portait de grands voiles colorés. Je la trouvais vraiment vieille ; pourtant, en plus des deux filles aînées, Radhra et Houria, il y avait un petit frère, comme le mien en gros. Le papa travaillait. Au décolletage ou à la construction je ne sais plus. Il me faisait peur car il ne souriait jamais (dans mon souvenir !). Houria était une vraie peste. Radhra vint grossir les rangs de ma classe et, comme nous habitions les uns à côté des autres, nous fîmes vite la longue route ensemble quatre fois par jour.

Elle venait me voir pour faire les devoirs (quelle blague !!!) et j’allais souvent chez elle. Sous les bâches il faisait chaud, il y avait plein de tissus de couleur chaude sur les murs, c’était brillant et beau, ça sentait bon et la maman, qui me faisait toujours un peu peur, nous offrait des gâteaux très sucrés.

Un jour en cours d’année, j’avais 12/13 ans, Houria fut seule à prendre la route de l’école. Nos petits frères allaient à une autre école, guidés par maman et Madame Chouder. Mais Rhadra ne vint pas. Je me rendis plusieurs fois à la tente pour avoir une réponse. Ils ne répondaient pas. De guerre lasse mes parents m’apprirent que Rhadra était partie en Algérie où son mari l’attendait. Je fus si totalement horrifiée que ce souvenir ne m’est jamais sorti du coeur.

Je l’ai attendue longtemps ; l’année suivante j’appris qu’elle avait eu un premier bébé. Combien d’autres à suivre ? J’espère que l’homme et la famille de là-bas l’ont bien accueillie. J’espère que Houria, plus longtemps allée à l’école et plus tête de lard, put échapper à ce sort. Car, quel que soit le sort qui nous attendait, il était vraiment trop tôt dans sa vie.

Ayant moins de monde à se mettre sous la dent, le gros chien noir hargneux se vengea sur mon bras, violemment. Mon chagrin passa peu à peu avec cette nouvelle douleur. Rhadra, je ne t’ai jamais oubliée…

3 commentaires sur “Comme quand on était petits… Rhadra et sa famille

  1. C’est une très belle histoire, tellement touchante et bien racontée que j’en ai la chair de poule…

  2. … peut être ta petite amie Rhadra lira ta belle histoire… la magie internet,… un grand Merci à toi,de reprendre cette belle rubrique… et le Jacques Prevert : waou !!!

  3. Oui, une histoire vécue, une vraie, si bien racontée avec ta sensibilité, qui remue bien le cœur et qui fait écho à mes histoires vécues.
    Merci, merci !

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