Gwendalina, les seniors et la chronique fargussienne

Edmonde Charles-Roux : Le vieillissement apporte un cadeau inespéré. Il donne une certaine liberté, celle dont on profite aussitôt qu’un trait définitif est tiré sur la volonté de séduire. Il n’y a plus aucune équivoque, aucune ambiguïté dans le rapport aux autres. Pour retenir l’attention, il faut avant tout être soi-même, sans besoin de déguisement. On ne craint plus pour son avenir. On n’est plus sur ses gardes. On peut dire ce que l’on veut, ce que l’on pense. On n’a plus rien à perdre. Et cette indifférence au qu’en-dira-t-on laisse place à une extraordinaire liberté, comme une bouffée d’oxygène, cette conquête du grand âge. La vieillesse apporte autre chose d’essentiel : on est plus attentif aux autres, à leurs gestes, à leurs propos, à leur valeur. On mesure mieux qui ils sont et mieux aussi le prix de leur affection, de leur tendresse ou de leur amitié. On est moins égocentrique. Bref, l’âge rend meilleur.

Paulette Brisepierre : Les années qui passent sont un acquis formidable. On accumule des repères, de l’expérience, des connaissances, du recul et plus j’avance en âge, plus je me dis que la vie est fantastique. À mes yeux, l’âge est loin d’être un handicap. On est plus disponible, on a moins de devoirs. On apprend en voyageant, en rencontrant des gens. On apprend constamment. Il faut regarder autour de soi et rester ouvert au monde. La vie est un cadeau magnifique. Il y a plein de petits bonheurs à saisir. J’ai une longue vie derrière moi, mais elle me semble courte car elle est un peu découpée en tranches qui se superposent et s’additionnent. J’ai ressenti de grandes douleurs mais vécu d’immenses joies. J’ai beaucoup ri, je ris encore beaucoup, heureusement, et j’ai également beaucoup pleuré. C’est cela, la vraie vie : rire et pleurer. Les deux sont complémentaires et s’équilibrent en nous faisant ressentir combien nous sommes vivants… et vulnérables.

Arnaud Desjardins, 81 ans : A vrai dire, il y a quelque chose en moi qui, loin de décliner, ne cesse de progresser. Très jeune, j’ai engagé ma vie dans une recherche spirituelle. Dans cette démarche, on a toujours son avenir devant soi. L’approfondissement de la vie intérieure n’a pas de fin.

Albert Jacquard, 81 ans : La vision du temps qui passe se transforme. Mais du même coup, cela m’oblige à regarder en avant et à remplacer les “à quoi bon ?” par des “pourquoi pas?” Moi qui ai été si compétitif, je sais maintenant que cela n’a aucun sens. Que combattre contre l’autre n’est pas intéressant, ce qui est passionnant, c’est de combattre avec l’autre. Et ce qui est satisfaisant, c’est de transmettre le résultat de ce que j’ai appris et vécu.

Dominique Rolin, 94 ans : Comme tout un chacun, j’ai vécu des moments merveilleux et des moments difficiles au cours de mon long trajet de vie. Mais j’ai trouvé le bonheur lorsque j’ai découvert le moyen de concilier, parfaitement et sereinement, ma vie personnelle et ma vie professionnelle. Cet équilibre-là, cet équilibre parfait a signé l’entrée du bonheur dans ma vie. Cette plénitude dure depuis cinquante ans et ne m’a jamais quittée. Il faut lutter pour que cet équilibre perdure et il faut parfois y mettre toute la violence de son vouloir. J’ai toujours conservé, dans les moments hauts comme dans les moments bas, la certitude que le bonheur était là, comme en suspens. Et il ne m’a jamais fait faux bond parce que je l’ai toujours sollicité, veillé, espéré. Du coup, je n’ai pas peur de la mort parce que j’ai le sentiment de n’avoir rien raté.

Jacques Brosse, 85 ans : Ma vie est assez réussie. J’ai fait ce que je voulais faire et j’ai vu à peu près tout ce que je voulais voir sur terre. Connaître ma femme a été un événement majeur. J’avais 17 ans. Nous sommes toujours ensemble. Jeune, je n’avais pas conscience du bonheur, je m’en suis rendu compte après. Le bonheur est pour moi toujours rétrospectif. Pour être heureux, il faut le vouloir et trouver le moyen de l’être. La nature est une source de contentement, si on y fait attention : une rencontre avec un oiseau, une fleur, un insecte, ça suffit. Il faut juste prendre son temps et utiliser ses sens pour découvrir son bonheur du jour.

Henry Bauchau, 94 ans : La vie peut rendre heureux, comme la nature, l’amour… Je pense qu’il y a une “fête de l’existence”. Celle-ci est liée au fait d’exister dans son corps, sans que celui-ci vous opprime. Je pense que tout ce qui va vers l’apaisement intérieur, la recherche de la juste place de l’ego, contribue énormément au bonheur. C’est le travail de la vie! Mais nous sommes soutenus par l’espérance, qui est avant tout une pratique.

Henri Salvador : J’ai toujours aimé, adoré la vie. Il y a bien plus de choses heureuses que malheureuses. Il y a plein de moments de plaisir et de petits bonheurs toute la journée, il faut juste les remarquer et en profiter. La curiosité, c’est ce qui conserve. C’est l’anti-vieillesse.


Un commentaire sur “Gwendalina, les seniors et la chronique fargussienne

  1. Merci Gwen pour ces beaux textes… J’ai adoré celui de Jacquart (mais je suis partiale, j’adore Jacquart!!!), et celui de Jacques Brosse aussi (parmi d’autres… tous de bon sens), notamment quand il dit que pour être heureux il faut le vouloir… Comme lui, et comme beaucoup d’entre ces personnes qui ont beaucoup vécu, je me dis que chaque jour, le chant d’un oiseau, une fleur qui pousse, le sourire de mes enfants suffit à mon bonheur…
    Merci encore, Gwen, ces leçons là sont à retenir, même sans attendre d’avoir leur(s) âge(s) 😉

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